Contrôle à distance de la réactivité du site actif dans une enzyme à molybdène

Dans cette étude, publiée dans la revue ACS Catalysis, les scientifiques montrent qu’un groupe de résidus conservés et situés à longue distance du site actif métallique contrôle à la fois l’accès du substrat et les transferts de protons.
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Ce groupe de résidus module ainsi fortement les propriétés catalytiques de la nitrate réductase. Ces données permettent de mieux appréhender le fonctionnement complexe de cette enzyme à molybdène associant les transferts intramoléculaires de substrat, de protons et d’électrons dans le processus catalytique.

Qu’est-ce qui définit un site catalytique ? Cette question taraude nombre de scientifiques lorsqu’il s’agit de comprendre le fonctionnement d’une enzyme ou de concevoir une molécule inhibitrice. La situation est plus complexe lorsque le site actif comprend un centre métallique et que le processus catalytique implique une coordination entre l’arrivée d’un substrat et des transferts intramoléculaires d’électrons et de protons. Ici, les chercheurs s’intéressent aux enzymes à molybdène (Mo) présentes chez la quasi-totalité des êtres vivants où elles catalysent une très grande diversité de réactions et jouent un rôle majeur dans de nombreuses voies métaboliques.

Chez la majorité des microorganismes, l’ion Mo est coordiné par un cofacteur organique complexe de type bis-pyranoptérine dinucléotide (bis-PGD), un aminoacide de la protéine (cystéine, sérine ou aspartate) et enfin par un atome d’oxygène ou de soufre. Cette grande homogénéité de structure du site actif contraste étonnamment avec le large panel de substrats utilisés et de transformations chimiques réalisées par les molybdo-enzymes, laissant penser que des facteurs structuraux distants du site actif interviennent dans le contrôle de la réactivité de l’enzyme.

Grâce à une approche interdisciplinaire innovante associant biochimie, mutagenèse dirigée, cinétique enzymatique, spectroscopie RPE (résonance paramagnétique électronique) et modélisation de la dynamique moléculaire, les scientifiques ont identifié l’un de ces facteurs dans le contrôle de l’accès du substrat au sein du tunnel de 25 Å reliant la surface de l’enzyme au site actif à Mo. En utilisant la nitrate réductase membranaire de la bactérie Escherichia coli comme système modèle, ils ont mis en évidence un résidu Glutamate engagé dans un réseau de liaisons hydrogène avec plusieurs acides aminés polaires voisins également conservés, et verrouillant le passage dans le tunnel à environ 10 Å du site à Mo. Le basculement de ce résidu libère le passage dans le tunnel pour le substrat et les molécules d’eau et modifie le réseau de liaisons hydrogène à longue distance, jusqu’au niveau du site actif.  En substituant ce résidu glutamate ou les acides aminés polaires voisins, les auteurs montrent qu’il est possible d’agir séparément sur l’affinité du substrat, la spécificité, et sur le transfert de protons vers le site actif. Il est ainsi possible de moduler fortement sa réactivité (sur plusieurs ordres de grandeur) ou de la contrôler finement.

Par comparaison avec les données disponibles sur d’autres enzymes, un tel mécanisme de contrôle à distance de la réactivité par ouverture/fermeture du tunnel d’accès du substrat et de la translocation de protons à longue distance est vraisemblablement très général au sein de la superfamille d’enzymes microbiennes à Mo-bis-PGD (étudiée depuis plus de 5 décennies) ce qui pourrait avoir des implications majeures dans les domaines de l’environnement, de la santé et des bioénergies.

Sinan Al-Attar, Julia Rendon, Marlon Sidore, Jean-Pierre Duneau, Farida Seduk, Frédéric Biaso, Stéphane Grimaldi, Bruno Guigliarelli, Axel Magalon.
Gating of Substrate Access and Long-Range Proton Transfer in Escherichia coli Nitrate Reductase A: The Essential Role of a Remote Glutamate Residue.
ACS Catal., 2021, 14303 - 14318. DOI: 10.1021/acscatal.1c03988 HAL: hal-03511729v1

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